12 septembre 2019
Photo: Avener Prado / Le Monde

Le pas ferme, Luiz Inácio Lula da Silva surgit dans une pièce anonyme du siège de la police fédérale de Curitiba (Paraná), réaménanagée en salle de presse. C’est ici, dans ce bâtiment sans âme, que l’ancien chef de l’Etat, condamné pour corruption, effectue, depuis avril 2018, sa peine de huit ans et dix mois de prison. A 73 ans, le chef de file de la gauche brésilienne n’a rien perdu de sa verve. Il se présente, la barbe finement taillée, costume sombre et cravate pourpre nouée autour du cou. Le style est présidentiel, et le symbole bien clair: Lula est toujours au travail, encore en action. Il a accordé au Le Monde son premier entretien à un média français depuis son incarcération.

Après un an et demi en prison, commencez-vous à ressentir une forme de découragement ou de lassitude?
Non, je me sens bien, moralement et physiquement. J’ai l’esprit tranquille, car je sais pourquoi je suis ici. Je sais que je suis innocent et que ceux qu m’ont mis en prison sont des menteurs. Je suis un optimiste. C’est mas mère qui m’a transmis ça. Alors oui, la prison, c’est une mise à l’épreuve. Mais j’ai beaucoup d’énergie, je suis très serein. J’ai la certitude que je vais vaincre.

Comment votre quotidien est-il organisé?
Je regarde des films, la télévision, je discute avec mes avocats. Je marche, 9 kilomètres par jour! J’attends quele temps passe… Je lis beaucoup aussi, j’étudie l’histoire des luttes sociales au Brésil. Je suis horrifié de voir que tous ceux qui se sont battus dans ce pays pour le peuple, tels Zumbi [esclave insurgé au XVIIe siècle], Tiradentes [révolutionnaire du XVIIIe siècle] ou Antonio Conselheiro [prédicateur du XIXe siècle], ont été décapités, pendus ou brûlés vifs, et de constater que le peuple ne sache pas qui ils sont, comme s’ils n’avaient jamais existé.

Vous identifiez-vous à eux?
Oui. Je crois que je suis un peu leur version moderne. Avec une forme plus sophistiquée. Dans mon cas, le pouvoir judiciaire a été utilisé non pas pour rendre la justice, mais pour faire de la politique.

La France et le Brésil ont connu une crise diplomatique autour de la question de la préservation de l’Amazonie, sur fond d’insultes lancées par le président Jair Bolsonaro à l’encontre d’Emmanuel Macron. Comment avez-vous vécu l’épisode?
Moi, j’ai toujours eu d’excellentes relations avec tous les présidents français, de gauche comme de droite, avec Chirac, Sarkozy et Hollande. Je suis solidaire d’Emmanuel Macron, après les insultes qui ont été envoyées envers sa femme. C’était d’une grossièreté inouïe, et cela n’a rien à voir avec le peuple brésilien.

Quelles sont les solutions, selon vous, pour remédier aux incendies qui dévastent actuellement l’Amazonie?
Le peuple doit réagir. Il fault que les Brésiliens se mobilisent et manifestent pour la défense de l’environnement. Car il n’y a rien à espérer de Bolsonaro ni de ses ministres, sur ce sujet. Je dois rappeler, au passage, que mon gouvernement, celui du Parti des travailleurs [PT], a été celui qui s’est le mieux occupé de l’Amazonie. C’est sous mon mandat qu’a été créé le fonds, financé par l’Allemagne et la Norvège, pour protéger la forêt. C’est moi qui ai crée un plan de prévention qui a permis de faire chuter la déforestation illégale. C’est aussi moi qui ai inauguré 114 zones naturelles protégéés dans le pays. On s’est occupé de l’environnement, et on s’est est bien occupé.

Il y eu pourtant, sous votre présidence (2003-2011) et celle de Dilma Rousseff (2011-2016), de nombreuses critiques émises par le défenseurs de l’environnement. Notamment au sujet de la construction du barrage de Belo Monte, en Amazonie… Le PT peut-il vraiment donner des leçons sur le sujet de l’Amazonie?
Même Dieu ne peut échapper aux critiques! Et pour un gouvernement, c’est encore pire. On a fait tout ce qu’il était possible de faire. Belo Monte était une nécessité pour ce pays. Il a été construit avec l’accord de toutes le communautés indiennes qui vivaient là. Le Brésil devait développer son potentiel hydroélectrique, 80% de l’energie produite par le Brésil est propre. Et on en est fiers!

Soutenez-vous l’idée d’une internationalisation de l’Amazonie suggéré par Emmanuel Macron?
Non! L’Amazonie est proprieté du Brésil. Elle fait partie du patrimoine brésilien. Et c’est le Brésil qui doit en prendre soin. Ça, c’est clair! Ça ne veut pas dire qu’il faut être ignorant, et que l’aide internationale n’est pas importante. Mais l’Amazonie ne peut pas être un sanctuaire pour l’humanité. Je rappelle que 20 millions de personnes vivent là, ont besoin de manger et de travailler. On doit aussi prendre soin d’eux, tout en tenant compte de la présevation de l’environnement.

Après huit mois de gouvernance, que vous inspire la présidence de Jair Bolsonaro?
Bolsonaro ne fait rien. Il détruit. Il détruit l’éducation en coupant les financements des universités, qui ne peuvenent plus payer de bourses d’études. Il détruit les droits des travailleurs, pour leslquels on s’es tant battus. Il détruit l’industrie en privatisant les entreprises brésiliennes, notamment Petrobras – ce qui est un crime! C’est un gouvernement de destruction, sans aucune vision de l’avenir, sans programme, qui n’est pas qualifié pour le pouvoir. C’est pour ça que Bolsonaro dit autant de bêtises, qu’il a insulté l’épouse de Macron et Michelle Bachelet, qu’il se dispute avec Maduro… C’est de la folie totale. Et derrière, il se soumet totalement à Trump. Je n’ai jamais vu rien de tel!

« ‘L’anti-PTisme » ou rejet du PT, est très fort chez une partie de la population au Brésil. Le temps de faire une autocritique, voire de tourner une page, de créer un nouveau parti ou de changer son nom, n’est-il pas venu?
Le PT n’a pas besoin de faire d’autocritique. Pourquoi une autocritique? Sur quel sujet? Le PT ne doit pas changer de nom, mais changer ce qu’il y a dans la tête des gens. La vérité, c’est que j’aurais gagné les élections, même depuis la prison, si j’y avais été autorisé par le juge! D’ailleurs, Fernando Haddad [candidat du PT au scrutin de 2018 contre Bolsonaro] a tout de même recueilli 47 millions de voix. C’est beaucoup!

Le PT est grand, c’est le parti de gauche le plus extraordinaire du monde. C’est un parti très bien organisé. Il arrive premier ou deuxième à chaque scrutin depuis vingt ans. Alors oui, on a perdu une élection, c’est vrai. Mais perdre, c’est normal en démocratie. On ne peut pas toujours gagner. Au Brésil, il y a beaucoup d’anti-PTistes, mais aussi beaucoup de gens qui croient en lui, et d’autres encore qui ont besoin d’être convaincus.

N’y aura-t-il donc aucune remise en cause de votre part?
Au Brésil, on a toujours eu des gens au discours ultraréactionnaire qui gagnaient des élections: ce n’est pas nouveau. Bolsonaro est d’abord le résultat d’un rejet de la politique. Dans ces moments de l’histoire, où la politique est autant haie, les gens s’égarent avec le premier monstre qui se trouve à proximité. C’est lamentable, mais c’est arrivé.

Malgré les révélations du site « The Intercept » sur le coulisses de l’affaire « Lava Jato », vos demandes répétées de libération ont été rejetées ou ajournées par la justice. Conservez-vous l’espoir d’être libéré?
Il existe un pacte entre le grands médias, les procureurs et le juge Segio Moro [à la tête de l’opération anticorruption « Lava Jato », et aujourd’hui ministre de la justice]. Ils ont difusé tellement de mensonges sur moi qui’ils n’ont pas le courage de défaire leur jugement. Encore dimanche [8 septembre], la presse a révélé de nouvelles informations, montrant que Moro avait menti à la Cour suprême. Ce genre de comportement, de la part d’un juge, je ne le pardonne pas. Mais j’ai la certitude que je vais sortir d’ici, et qu’un jour ces gens vont être tenus responsables de ce qui s’est passé dans ce pays. Je continue à faire confiance à la justice, même si je sais qu’elle subit de nombreuses pressions.

Accepteriez-vous un régime semi-ouvert? Ou de purger votre peine à domicile, avec un bracelet électronique, comme cela devrait vous l’être permis à partir de la fin septembre?
Je ne demande aucune faveur, aucune réduction de peine. Rien que la justice! Ma maison n’est pas une prison. Et les bracelets à la cheville, c’est bon pour les pigeons voyageurs! Tout ce que je veux, c’est qu’on reconnaisse mon innocence.

La société brésilienne est très polarisée. Ne craignez-vous pas que votre vie soit menacée si vous sortez de la prison?
Une personne comme moi, qui est née là oú elle est née, qui a mangé pour la première fois de sa vie du pain à l’âge de 7 ans, qui est allée bien des fois dormir sans avoir diné, et qui est arrivée là oú je suis arrivé, cette personne, elle ne peut pas avoir peur. Le Brésil est un pays de paix, avec un peuple qui aime la joie de vivre. Ceux qui essaient d’en faire une nation de haine devraient avoir honte!

Je veux sortir de prison et aller parler au peuple, pour que revienne ce gostinho [cette « saveur particulière » d’être Brésilien. Je suis un homme sans esprit de vengeance, sans haine. La haine, ça donne des brûlures d’estomac, des maux de tête et des douleurs aux pieds ! Je vais bien, justement, car je suis du côté de la vérité. Et, à la fin, c’est toujours elle qui gagne.

Le Monde